Indianapolis et la Formule 1.
Soyons honnêtes. Dès qu’on pense à Indianapolis et à la F1, tout le monde revoit le fiasco de l’édition de 2005, où six voitures seulement se sont alignées sur la grille de départ. Alors qu’Indianapolis est un lieu mythique du sport automobile américain (mais aussi mondial), la relation du célèbre Brickyard avec le Championnat du Monde de Formule 1 n’a jamais été tranquille. Pourtant, la F1 s’y est tout de même rendue à 19 reprises, entre 1950 et 1960 puis entre 2000 et 2007, avec des résultats… mitigés. Cependant, Stefano Domenicali, actuel PDG de la F1, évoquait en Février de cette année, des discussions pour un potentiel retour à Indianapolis, avec « le Capitaine » Roger Penske, qui a racheté le circuit l’an dernier. La F1, tête de proue de la monoplace européenne, et Indianapolis, de la monoplace américaine, peuvent-ils enfin se réconcilier après deux épisodes déjà tumultueux ? Et au final, que s’est-il vraiment passé durant ces deux relations ? (ça fait un peu thérapie de couple cette introduction)
Replongeons-nous dans l’histoire de la F1 à Indianapolis…
L’Indy 500 des années 50.
Nous sommes en 1949, au sortir de la Seconde Guerre. Le sport automobile, comme beaucoup d’autres domaines, se reconstruit des deux côtés de l’Atlantique. La FIA pose les bases du nouveau Championnat du Monde de Formule 1. Un Championnat du Monde… avec six Grand-Prix, tous en Europe. L’AAA (Association Américaine des Automobilistes) et la FIA parviennent à un terrain d’entente pour incorporer les prestigieux 500 miles d’Indianapolis dans le calendrier de la saison 1950. Mais… avec des règlements technique (moteurs différents) et sportif différents, l’Indy 500 reste une anomalie dans l’Histoire de la Formule 1. Une anomalie, une originalité qui ne séduit pas. Alors que Farina, Fangio ou Ascari enchaînent les victoires en Europe, ils ne s’aventureront que très peu en Amérique. Le premier cité est bien engagé à la première édition en 1950, mais ses quelques tours de roue lors d’essais le découragent rapidement : sa Maserati n’est pas du tout adaptée aux caractéristiques d’un speedway. Il se retire, laissant 33 pilotes américains, purs habitués des ovales, à se lancer sur ces 200 tours mythiques de l’Indianapolis Motor Speedway.
Au final, sur les onze éditions, très peu de pilotes européens se lanceront sur le Brickyard. Jean Achard (quoi, vous ne connaissez pas Jean Achard ? Lisez donc son article Wikipédia rédigé par un certain… euh, moi) en 51 n’ira pas plus loin que son inscription sur la liste des engagés. Mais, en 1952, Alberto Ascari réussit à se qualifier à une très honorable 19e position. Il sera le seul pilote de F1 à se qualifier pour l’Indy 500 durant ces années-là. En course, il surprend et remonte jusqu’en huitième position au 40e tour. Mais l’Indy 500 est une épreuve longue et terrible : il doit abandonner avant le quart de la course à cause d’un roulement de roue brisée. Farina et Fangio tenteront leur chance entre 1956 et 1958, en vain. Ils doivent se retirer avant les qualifications, devant la faible vitesse de leurs voitures et l’inexpérience de leurs mécaniciens.
Mais sortons de notre point de vue européen. Qu’en était-il des pilotes américains, habitués des ovales ? Allaient-ils en Europe participer au championnat du monde de Formule 1 ? (spoiler : non). Le meilleur exemple : Johnnie Parsons, vainqueur de l’Indy 500 de 1950. Il a participé à 9 courses du championnat de Formule 1, soit… 9 éditions de l’Indy 500 (de 1950 jusqu’à 1958). Même s’il mena le championnat de Formule 1 1950 ex aequo avec Farina et Fangio, il ne traversa jamais l’Atlantique. Quel aurait été l’intérêt pour lui ? La F1 n’était pas du tout suivie aux États-Unis, ça aurait été de l’argent et du temps gaspillé pour sûrement pas grand-chose…
Et comment cette première relation entre F1 et Indy s’est terminée ? Tout simplement par l’apparition d’un « vrai » Grand-Prix des États-Unis en 1959 à Sebring (puis Riverside et Watkins Glen). La nécessité de garder Indianapolis pour un côté mondial n’avait donc plus lieu d’être. En 1961, l’Indy 500 n’est plus au programme du Championnat du Monde de Formule 1. Fun fact : c’est à ce moment que les pilotes de F1 ont commencé à s’intéresser en masse à l’Indy 500 avec Jack Brabham, puis Dan Gurney, Jim Clark et enfin Graham Hill (vainqueur en 65).
Le circuit routier des années 2000.
Après neuf ans d’absence sur le sol américain, et quarante dans l’État d’Indiana, la Formule 1 fait son retour à Indianapolis en 2000. Non pas avec les 500 miles d’Indianapolis, mais bien avec un propre Grand-Prix, auxquels tous les pilotes de Formule 1 participent (gros changement par rapport aux années 50 déjà!). Exit Farina, Fangio ou Ascari, place aux non moins mythiques Mazzacane ou Gené ! (ou Schumacher et Häkkinen, comme vous le sentez.) Le tracé change un peu et n’emprunte qu’une partie du mythique ovale : un circuit routier à l’intérieur de l’ovale (infield) est dessiné pour l’occasion. Les F1 empruntent tout de même une partie de l’ovale avec le virage 1 et la ligne droite de départ/arrivée mais dans le sens inverse de l’Indy 500. Les pilotes sont globalement tous satisfaits par le nouveau circuit, de par la technicité et la difficulté de l’infield et de par sa partie fun avec l’ovale. Un vrai casse-tête pour trouver les bons réglages.
Si on parle à un fan de Formule 1 des années 2000 et qu’on lui demande ce qu’il a retenu d’Indianapolis, sa réponse sera simple : le fiasco de 2005. L’année précédente, comme un prélude à l’édition qui allait suivre, Fernando Alonso, mais surtout Ralf Schumacher, tous deux équipés de pneus Michelin, crèvent à très haute vitesse sur l’ovale, ce qui laissera l’Allemand hors des circuits pendant trois mois. En 2005, bis repetita avec de nouveaux accidents pour Schumacher et Zonta sur l’ovale. Les pneus de Michelin ne tiennent pas sur cette partie ultra-rapide, tout en appui. Le risque d’un accident grave étant trop présent, Michelin demande à tous ses pilotes de rentrer aux stands après le tour de formation (oui oui, Michelin, pas la FIA qui demande juste aux pilotes Michelin de ralentir sur la partie ovale…). Seules les 6 voitures équipées de pneus Bridgestone s’alignent sur la grille… Une farce. La seule victoire de Ferrari cette saison, le seul podium d’un Portugais (Tiago Monteiro) en F1, et les seuls points d’un Indien (Narain Karthikeyan) en F1… Une édition à jamais dans l’Histoire de la F1, sans aucun doute.
Les autres éditions ? Elles n’ont que rarement marqué l’Histoire de la F1. Notons le Grand Prix de 2001, qui se tenait trois semaines après les attentats du 11 Septembre : Ferrari et Jordan arborant une livrée différente pour commémorer ces événements. En 2002, on verra une « revanche » du tristement célèbre Grand-Prix d’Autriche de la même année, où Barrichello avait dû laisser passer Schumacher pour l’aider pour le titre (Valtteri et Mercedes n’ont rien inventé !). À Indianapolis, alors que la victoire semblait promise au fraîchement sacré quintuple Champion du Monde, ce dernier ralentit pour laisser passer son coéquipier brésilien, lui rendant en quelque sorte sa victoire de l’Autriche. Pour finir, en 2007, un certain Sebastian Vettel fait ses débuts, remplaçant un Robert Kubica blessé, et marque son premier point à sa première course dans l'élite. Je me demande ce qu’il est devenu…
Et après cette dernière édition, le contrat entre la F1 et Indianapolis n’a tout simplement pas été renouvelé. Peu de gens sont touchés par cette perte au calendrier : les observateurs n’ont que la ridicule édition 2005 en tête, car c’est malheureusement le souvenir le plus marquant de ce 2e séjour de la F1 à Indianapolis…
Et maintenant ?
Depuis des années et des années, les dirigeants de la F1 (que ce soit Bernie Ecclestone, Chase Carey ou Stefano Domenicali) ne cessent de vouloir plusieurs courses sur le sol américain. De New York à Las Vegas, les projets se sont multipliés ces dernières années, mais tous ont échoué à accompagner Austin au calendrier F1. Jusqu’à Miami qui fera finalement son apparition en 2022 avec un circuit urbain… qui crée beaucoup d’opposition auprès des fans, mais aussi auprès de certains riverains…
Dans le même temps, depuis sa reprise par Roger Penske en 2019, l’Indianapolis Motor Speedway n’a cessé de faire de l’œil à la F1 (mais aussi à la NASCAR). Le circuit routier est toujours de Grade 1, prêt à accueillir la F1, et est toujours fréquemment utilisé par la MotoGP et l’IndyCar. C’est à priori la chance la plus probable de voir un nouveau Grand-Prix américain. Indianapolis et la F1 ne cessent de se tourner autour, une relation faite de beaucoup de bas, comme deux mondes qui n’auraient pas su s’entendre… et s’il était temps de changer ça ?
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