ANTHOINE.
"Je suis aussi très fier d'être là où je suis en étant qui je suis."
Tels étaient les mots d'Anthoine accordés à FORMULA en Février, avant que la saison 2019 ne débute. Je découvrais alors, en plus du pilote talentueux, l'homme incroyable qu'il était.
Fraîchement champion de GP3, et tout jeune pensionnaire de la Renault Sport Academy, Anthoine avait tout pour réussir. Il avait le talent, la vitesse, l'intelligence, la technique et la gestion. C'est d'ailleurs grâce à ça que, très vite, Anthoine est devenu l'attraction de sa discipline. Dès sa première course, sa gestion saute aux yeux de tous. Il parvenait alors à amener sa monoplace à la porte du podium. À l'issu du weekend Azéri, comptant pour la deuxième manche de la saison, Anthoine me confie alors qu'il a "une marge d'amélioration" et qu'il doit "travailler pour être encore meilleur et réaliser de beaux résultats". Ce fut chose faite quasiment dans la foulée, après une course tactique et stressante entre les rails de Monaco. Anthoine goûte alors pour la première fois de sa vie au goût d'une victoire en F2, après seulement 4 meetings. Ce goût de la victoire, il a quelque chose, il reste en bouche, c'est comme un goût de "reviens-y". Et c'est ce qu'a fait Anthoine. Il y est revenu. Chez lui, devant son public, en France.
Il aura gagné deux fois en F2. Deux victoires sur 16 possibles. Mais il aura tout de même marqué la discipline de son empreinte. Ces deux victoires sont sans doute parmi les plus belles de sa carrière. D'abord, Monaco, monument incontournable du sport automobile et véritable révélateur de talent. Ensuite, Le Castellet, chez lui, sa maison, avec un public, son public, ses fans. Anthoine aura su se créer une véritable image en peu de temps. Actif sur les réseaux sociaux, accessible, toujours souriant, altruiste, personne ne pouvait le détester. Tout le monde l'appréciait. Il faisait l'unanimité sur les réseaux sociaux dans la sphère francophone (chose assez rare pour être soulignée). Son statut de pilote de simulateur pour l'écurie française faisait de lui l'avenir du sport automobile Français en Formule 1. Il était pour beaucoup, le prochain pilote de Formule 1 Français. Mais Anthoine, c'était bien plus que ça. C'était au-delà du talent.
Il était fier d'être arrivé en F2, d'avoir été champion de F4 et de GP3, sans être "un fils de milliardaire" comme il le répétait souvent. Il était fier d'avoir grimpé vers les sommets par la seule force de son talent derrière un volant. Et nous aussi, supporters Français, on était fier. Et encore plus aujourd'hui. Mais malgré ça, il était d'une modestie frappante. Il avait des rêves, se battait pour eux, et ne se voyait pas plus grand que ce qu'il était. Il était ambitieux, mais calme, discret. Il ne se précipitait pas, et prenait les choses les unes après les autres, chose rare en général à 22 ans.
Malheureusement, cette fois-ci, c'est lui qui a été pris. En faisant ce qu'il aimait. Au sommet du mythique Raidillon, le plus beau virage du monde devenu le pire pendant quelques minutes, et qui nous rappelle pourquoi sa légende est si puissante. C'est une ultime montée, vers Kemmel, vers le ciel, qu'Anthoine a emprunté le Samedi 31 Août 2019 aux alentours de 17h05. Il ne sera jamais oublié. Son nom, son talent, son parcours, font maintenant parti de l'Histoire avec un grand H. De son côté, il rejoint Ayrton Senna, Gilles Villeneuve, Jules Bianchi et les autres, là-haut, où les courses doivent être incroyables. Il continuera à veiller sur ses proches, et à aider les gens, de part les messages qu'il pouvait délivrer. De mon côté, ce sont les images, tragiques, et d'une violence extrême qui tournent en tête. L'inquiétude, et un ultime SMS, venant aux nouvelles, qui restera malheureusement à jamais sans réponse. Malgré ça, Anthoine continuera à m'aider de par sa détermination, exemplaire. J'ai été fier d'avoir pu travailler avec lui pour vous présenter une interview, pour découvrir qui il était derrière la visière. Mais j'ai par-dessus tout été fier d'avoir pu le rencontrer, et d'avoir pu échanger avec lui. Et je le remercierai jamais assez pour ça.
Dimanche matin, le ciel arborait une robe grise, et Spa était plongé dans une atmosphère très particulière. Comme si le circuit, bourreau d'Anthoine, voulait s'excuser et lui rendre hommage. Ce circuit, si beau, si spectaculaire, mais si cruel, avait, paradoxalement avec les événements, une beauté encore plus majestueuse que d'habitude. Sans doute parce qu'Anthoine en fait désormais partie, et que les deux se sont associés pour continuer à nous faire aimer ce sport, notre passion. Le contraste entre la magnificence de ce tracé vert et l'enfer qui y a élu domicile ce weekend, fait de Spa, au moins pour quelques jours, le nouvel "Enfer Vert", surnom traditionnellement décerné au non moins mythique Nürburgring.
Les hommages à travers le monde, de Portland à Spa, en passant par Silverstone, de l'IndyCar à la F1, en passant par le WEC, nous montrent le respect que ces pilotes ont les uns pour les autres, et que c'est toute la grande famille du sport automobile qui est en deuil. Chaque pilote arborait un brassard noir, chaque voiture arborait un autocollant, chaque casque arborait un petit message. Certaines voitures, ailleurs en Europe, sont allées jusqu'à écrire au marqueur sur un morceau de scotch collé à la monoplace. La puissance de ce drame n'a pas de frontière. L'amour de ce sport non plus.
Show must go on. La course de F3 et le Grand-Prix de Belgique de Formule 1 auront été dédiés à Anthoine. C'était sa passion, notre passion, et c'était la meilleure chose à faire pour lui rendre hommage que de faire ce qu'il aimait par dessus-tout.
Ce sont des larmes que accompagnent ces lignes. Les mêmes que celles qui refusait de croire à la nouvelle, et qui m'empêchait de parler. Des larmes de tristesse, d'avoir perdu un jeune talent français. Des larmes de colère, de voir un homme mourir pour sa passion et ses rêves. Des larmes d'agacement, de voir un énième talent fauché trop tôt. Ce sont aussi mes larmes, de perdre quelqu'un avec qui j'échangeais régulièrement, qui faisait son possible pour m'aider, et avec qui je m'entendais bien. Ce sont aussi tes larmes à toi, derrière ton écran, à te remémorer pourquoi tu appréciais Anthoine. Ce sont aussi nos larmes, à tous, fans de sport automobile. Ce sont leurs larmes, à tous les acteurs de notre passion, qui mettent leur vie en jeu chaque jour pour nous procurer des émotions folles. Enfin, ce sont les larmes de sa famille, ses proches, qui viennent de perdre, au-delà d'un pilote de course, un homme, un fils, un frère et un ami.
Tous ces mots, aussi nombreux qu'ils soient, ne représenteront jamais parfaitement la peine qu'on a tous. Qu'on le connaisse en tant que pilote de F2, qu'on le connaisse personnellement, ou qu'on soit proche de lui, la peine est là, même si elle n'est pas la même. J'adresse à sa famille, ses parents, son frère, sa copine, ainsi qu'à tous ses proches et ses amis, mes plus sincères condoléances.
Cette ultime image d'Anthoine, célébrant, les bras pointés vers le ciel, vers lui-même, sera et restera l'image le représentant. C'est comme ça qu'on doit s'en souvenir. Comme un vainqueur, un champion. Un héros.
Et comme on dit, une image vaut mille mots.
Anthoine, c'était Anthoine. Tonio.