Finale FEED Racing 2022.
Magny-Cours, 14 septembre 2022. Pour la troisième fois de son Histoire, l’école de pilotage créée par Jacques Villeneuve et Patrick Lemarié, organisait la grande Finale du Volant FEED Racing. Cette compétition, qui offre au vainqueur une saison en Formule 4, tous frais payés, est ouverte à tous les jeunes de 14 à 21 ans, quel que soit leur profil. On peut aller de pilotes de karting internationaux aux simracers en passant par des pilotes sans autre expérience que deux-trois séances de kart de location sur le circuit près de chez eux quand ils avaient dix ans. Des talents cachés, endormis, se voient offrir la chance de leur vie, et se donnent le droit de rêver à, cette année, une place en FFSA F4 pour la saison 2023.
Pour la somme de seulement 12.000 euros (une somme ridiculement faible en sport automobile), plus de 50 jeunes ont participé aux stages de sélection d’une durée de cinq jours, au volant des Mygale M14-F4 de FEED, sur la piste Club de Magny-Cours. Coaching, roulage intensif, débriefings, théorie, simulateur, analyse vidéo, tous les pilotes ont pu progresser. Mais seulement les six meilleurs étaient autorisés à se rendre en Finale. Lors des demies se tenant début août, c’est ainsi le Canadien d’origine coréenne Kevin Foster (18 ans), qui plaçait son nom en haut de la feuille des temps. Un pilote qui n’a d’ailleurs pas déboursé le moindre centime pour venir, Foster ayant remporté une course de karting au Canada, pour avoir le droit à une participation gratuite à FEED Racing.
Théau Keryjaouen (17 ans), pilote de KFS, le championnat de kart le moins cher de France, était la très belle surprise côté tricolore. Simracer de la R8G eSports de Romain Grosjean, le Belge Julien Soenen (18 ans) complétait le trio de tête. Oscar Py (15 ans), Pierre-Andréa Verreaux (21 ans, qualifié malgré une blessure à la cheville) et Antoine Broggio (15 ans, champion NSK France 2021 et protégé de l’ancien Finaliste Thomas Scibilia) arrachaient les derniers tickets restants, au grand dam d’autres pilotes comme Arthur Poulain ou de Nicolas Longuet pour les plus connus.
Un mois plus tard, tout ce petit monde se retrouvait sur la piste Formule 1, le « vrai » circuit de Magny-Cours, pour définitivement se départager, et lancer une carrière en sport automobile. Pour tous ces pilotes, FEED représente LA chance de leur vie. Peut-être la seule.
Ainsi, les 13 et 14 septembre, j’ai été invité par FEED Racing, comme l’an dernier, pour couvrir l’événement pour FORMULA et F1 Feeder Series. Mesdames et Messieurs, je vous propose donc de plonger avec moi dans le paddock de la finale du Volant FEED 2022.
13 Septembre - Derniers préparatifs.
Après un périple où je traverse la Région Centre-Val de Loire d’Ouest en Est, j’arrive sur le circuit de Nevers Magny-Cours au beau milieu de l’après-midi. Je reconnais rapidement les deux panneaux FEED Racing qui ornent l’entrée des garages. J’entre et, en voyant les F4 blanches dans la pitlane de Magny-Cours, y trouve d’emblée quelques souvenirs de l’an dernier. Mais pas le temps de faire dans le sentimentalisme, mon regard est directement happé par l’écran des résultats des derniers essais libres. Foster devance Keryjaouen pour... huit millièmes de seconde ! Encore une fois, cette Finale promet d’être belle.
Je déambule rapidement entre les voitures. Les qualifications (ou Finale Blanche) sont dans plus d’une heure, et presque tout le monde est retourné à l’hôtel ou dans sa caravane. Un seul pilote est encore là, assis sur le pneu arrière droit de sa F4, une tablette à la main. Kevin Foster a beau être le favori, il ne veut rien laisser au hasard et regarde inlassablement ses propres tours en caméra embarquée, voir où il peut encore gratter de précieux centièmes de seconde. Je trouve rapidement Patrick Lemarié qui me reconnaît. Profitant de ce moment de creux, j’enregistre une passionnante interview avec lui sur FEED Racing et son futur, le simracing, le jeunisme actuel du sport auto, etc.
17 heures. Les pilotes sont rassemblés pour un débrief avant un warm-up qui précédera les Qualifications. La pression monte d’un cran, et les coachs n’hésitent pas à rappeler que le moindre contact avec un mur, le moindre crash, signifiera une disqualification pure et simple. Le warm-up en pneus usés est piégeux, les pilotes sont tiraillés entre l’envie de définir une bonne fois pour toutes les limites à ne pas dépasser, mais aussi une envie de ne pas tout risquer. Malheureusement, le seul piégé sera Pierre-Andréa Verreaux qui sort dans les graviers et s’enlise, sans taper le mur fort heureusement.
Seules cinq voitures reviennent aux stands pour le passage aux pneus neufs, tandis que celle de Verreaux arrivera bien plus tard sur une grue, des graviers plein le cockpit. Pendant que les mécaniciens des équipes de FEED s’affairent à remettre la voiture de Verreaux à neuf, les cinq autres pilotes s’élancent. Et en pneus neufs, Kevin Foster est dans sa propre dimension. La moyenne de ses trois meilleurs tours est presque huit dixièmes de seconde plus rapide que celle de Keryjaouen, son plus proche rival ! S’élançant dix minutes après tout le monde et alors que le ciel s’assombrit dangereusement, Verreaux a tout de même le droit de rouler. Mais en manque de repères et surtout de confiance, le Français doit se contenter de la sixième place, synonyme d’un duel le lendemain face à l’ultra-favori Kevin Foster.
Après la traditionnelle séance photo des six finalistes, tout le monde se sépare pour une dernière nuit de sommeil avant le grand final. Le ciel qui ne cesse de s’assombrir, inquiète depuis le début de la semaine tous les pilotes. Les deux précédentes finales FEED avaient été perturbées par la pluie. Jamais deux sans trois ? Depuis le début des stages, aucun pilote n’a pu rouler en monoplace sous la pluie, ce serait une première pour chacun, quelque chose qui pourrait redistribuer les cartes. C’est en tout cas l’espoir des adversaires de Kevin Foster. Mais pour le natif de Calgary, pluie ou pas pluie, « tout le monde sera dans les mêmes conditions. Ça sera une nouveauté pour tout le monde, il faudra être le meilleur en toutes circonstances pour gagner ».
Alors que je veille jusqu’à 3h30 du matin pour écrire mon interview de Patrick Lemarié, la pluie s’abat fortement sur la Nièvre pendant de très longues heures... Et si l’issue de cette Finale n’était pas déjà tracée ?
14 Septembre - Le grand jour.
La pluie n’a pas fatigué, et c’est une piste entièrement détrempée qui accueille les Finalistes. La journée de roulage à Magny-Cours est aussi partagée avec des Formule 1 et des Formule Renault 2.0 ! LRS Formula, société de Laurent Redon, Rookie of the Year en IndyCar en 2002, organise des stages sur cette journée. Et c’est avec en bruit de fond, les puissants V8 des Prost AP04, des Benetton B198 ou des Williams FW33, que les pilotes sont accueillis pour le premier briefing de la journée.
Tous les pilotes vont découvrir le pilotage d’une monoplace sous la pluie. Et c’est le grand jour de la Finale. Deux bonnes raisons qui font que le stress est monté de plusieurs crans comparés aux précédents briefings. Les coachs développent sur un tableau blanc comment se comportent les pneus en conditions mouillées, quelles sont les meilleures trajectoires à adopter, quand une Formule Renault 2.0 se fait une grosse frayeur en sortant du virage du Lycée, à quelques mètres de foncer nous rejoindre dans la salle de briefing. Parfaite illustration de l’adhérence précaire dont parlait l’ancien pilote d’endurance Xavier Pompidou.
Les visages sont concentrés, mais certains semblent plus tendus que d’autres. Kevin Foster est serein, focus sur son objectif, alors que son principal rival Théau Keryjaouen est bien plus stressé qu’à son habitude. Et pour cause ! Le jeune Breton n’a jamais piloté sous la pluie, tout simplement. Le KFS ne court jamais sur le mouillé, faute de pneumatiques adaptés, et ce sera donc une découverte totale pour lui.
Les pilotes enfilent leur combinaison sur-mesure flambant neuve pour ce warm-up. Alors que la pluie a laissé place à un grand soleil, Kevin Foster se montre encore le plus rapide, devant Julien Soenen et un inattendu Antoine Broggio, très à l’aise dans ces conditions. Keryjaouen, 6e, espère que la piste sèchera rapidement.
Malgré l’enjeu, les pilotes ne sont pas pires ennemis pour autant. Après cet ultime échauffement, les pilotes discutent entre eux, sur les trajectoires, sur l’adhérence. Ils analysent et refont ensemble la séance.
Quand CANAL+ arrive, la pression monte encore, surtout pour les pilotes français qui se rendent compte de la portée de l’événement. Kevin Foster me fera part de son étonnement, apprenant quelques heures plus tard par ma voix, qu’il s’agissait du diffuseur de la Formule 1 en France et non d’une petite chaîne locale... Finaliste du Team Canada Scholarship (une autre compétition de Formule Ford) plus tôt cette année, Kevin Foster a déjà vu des médias pour une finale et sait gérer cette pression médiatique.
Plus rapide sur le sec comme sur le mouillé, le Canadien voit d'ailleurs la victoire se dessiner, mais ne veut pas crier victoire trop tôt. Il sait que lors des duels, tout peut changer. Une erreur, un crash, et tout est fini.
Le jury composé du pilote affilié Alpine Hadrien David, et le fondateur d’Automobiles Martini, champion F2 dans les années 70, Tico Martini, arrive ensuite pour un briefing final. Alors que j’entre dans une longue discussion avec Hadrien concernant son futur en F3 et avec Alpine, les pilotes, eux, rentrent dans leur bulle pour se concentrer. Dans quelques heures, l’un d’entre eux sera en Formule 4 française, et ce sera la fin du parcours pour les autres...
14 Septembre - Les duels.
Les premiers duels s’enchaînent. Kevin Foster dispose de Pierre-Andréa Verreaux dans un premier temps. Le second duel opposant Antoine Broggio à Théau Keryjaouen, est sous haute tension. La famille Broggio, venue en caravane, scrute les chronos de chacun, et laisse exploser sa joie quand Antoine domine Kerjaouen pour un petit dixième de seconde. Il s’agit clairement de la grosse progression de la semaine, après avoir été le dernier qualifié (de justesse) pour la Finale, il y a un mois. Pour le Breton, c’est la douche froide. Déstabilisé par un passage de vitesses raté au milieu de sa tentative, Keryjaouen voit ses espoirs de F4 s’envoler. Il s’assoit près d’un mur au fond des stands, les yeux dans le vide, réconforté par son clan.
Le troisième duel voit enfin Julien Soenen dominer Oscar Py. Les délibérations du Jury seront rapides, et c’est par la voix d’Hadrien David que Keryjaouen apprend qu’il est le pilote repêché. Devant tout de suite se reconcentrer, il défend crânement sa chance face à Foster, mais ce n’est pas assez, et il échoue à trois dixièmes du Canadien. Dans l’autre demi-finale, Soenen bat de peu Broggio. Le duel final sera 100% étranger, entre Kevin Foster et Julien Soenen.
Alors que les écarts sont plus réduits en pneus usés, Kevin Foster se montre injouable en pneus neufs. Avec six dixièmes d’avance, le Canadien est l’incontestable vainqueur du Volant FEED Racing F4 2022. À la sortie de sa voiture, peinant à trouver ses mots en anglais, en coréen ou en français, Foster peine à redescendre de son petit nuage. Il était LE favori depuis plus d’un mois, et a assumé son statut du début jusqu’à la fin. Le voilà désormais pilote de Formule 4.
14 Septembre - La redescente.
Quand il tombe dans les bras de Patrick Lemarié, des larmes commencent à poindre des yeux du jeune homme de 18 ans. Rien ne le destinait à être là. Pilote de karting sur la scène nationale canadienne, il n’aurait jamais eu le budget pour monter en F4, ni même pour participer à FEED ! C’est l’aboutissement du premier chapitre de son histoire.
Pour les autres pilotes, ce début de soirée nivernaise est forcément moins rose. En pleine redescente d’adrénaline, les cinq autres finalistes savent qu’il sera compliqué d’avoir une nouvelle chance en F4. Pas impossible, comme l’avaient montré Enzo Peugeot et Elliott Vayron l’an passé, mais très compliqué. « À moins d’un sponsor qui tombe du ciel, la monoplace c’est fini pour Antoine », me dira le père de Broggio. « Les budgets sont tellement énormes, FEED était notre seule chance. Mais on est vraiment content d’avoir eu cette chance, cette opportunité », entendra-t-on chez Oscar Py. « Maintenant, je pense qu’on va plus partir sur du karting de haut niveau, en KZ2 dans un premier temps », évoquera-t-il.
Alors que tout le monde monte au Restaurant Panoramique de Magny-Cours, une violente pluie s’abat sur le circuit. Un peu tard, mais de toute façon, qui pouvait vraiment empêcher Kevin Foster de gagner ce soir ? Probablement personne en dehors de lui-même.
Une coupe de champagne à la main, j’écoute Jacques Villeneuve en visio. Absent cette année à cause de son test avec Alpine (plutôt une bonne excuse), le Canadien félicite son jeune compatriote, de 33 ans son cadet. Peut-être a-t-il trouvé son successeur ? Je me pose avec Kevin Foster sur un canapé où nous parlons de son avenir. Car il est évident que je le croiserai souvent l’an prochain en FFSA F4.
Il espère que cette victoire à FEED lui ouvrira encore plus de portes. « Je ne sais pas vraiment si c’est possible, mais mon rêve serait de faire F4 française et F4 japonaise, car le Japon reste mon objectif. Je pense que j’habiterai en Corée du Sud l’an prochain, chez mes grands-parents », me dira-t-il. Venu seul à FEED, sans sa famille restée outre-Atlantique, Kevin pense revivre ça en 2023 : « Mes parents pourraient peut-être venir en France sur une manche, mais pas plus, on ne peut pas se le permettre financièrement. J’irai en Corée du Sud, car même si ça ne parait pas intuitif, c’est beaucoup plus simple de faire les allers-retours entre la France et la Corée du Sud, par rapport au Canada ».
Alors que nous nous apprêtons à nous séparer, je reçois un message d’un de mes collègues de F1 Feeder Series, me disant que l’un de ses amis, animateur d’un populaire podcast canadien de sport auto, voudrait recevoir Kevin Foster. Il semble que FEED ouvre déjà quelques portes...
Arrive l’heure du dîner et du repas gastronomique. Assis à côté d’Hadrien David, et en face de Kevin Foster, je suis à une place de choix. Le Canadien demande des conseils au Français sur sa carrière, sur la F4, etc. Alors que David enchaîne les allers-retours entre France et Angleterre, pour aider Alpine au simulateur, pour des moulages de baquet chez Carlin, le pilote de FRECA se montre disponible pour aider la star de la journée. L’ambiance est bon enfant, la tension de la Finale est totalement descendue. « Je vais avoir besoin de quelques jours pour réaliser », me dira Kevin Foster. Mais 72 heures plus tard, déjà rentré au Canada pour préparer la suite du Team Canada Scholarship et sa fin de saison de karting, Foster continuait à vivre ce rêve éveillé.
À quelques mètres en-dessous du Restaurant Panoramique, les monoplaces prennent un repos bien mérité, avant de reprendre la piste en 2023, pour faire découvrir la monoplace à des dizaines de nouveaux pilotes. Quelques box plus loin, les F3 d’ART GP sont montées, prêtes à être utilisées par des pilotes de W Series, sous l’œil avisé du récent champion Victor Martins le lendemain. Dans deux ou trois ans, retrouverons-nous Kevin Foster dans cette voiture ?
---------------
Il y a trois mois encore, Kevin Foster était si loin de penser qu’il en serait là aujourd’hui. Mais avec FEED, le Canadien s’est donné le droit de continuer à rêver. Alors encore une fois, je vais remercier FEED Racing.
Tout d’abord pour toutes ces chances données à des pilotes qui n’en auraient jamais eues. Pour ce travail, cette patience, cette expérience, ces conseils donnés. Et enfin, et c’est bien égoïste, à leur accueil toujours aussi phénoménal. Comme en 2021, ils m’ont ouvert toutes les portes possibles en totale transparence, dans une ambiance si conviviale.
Alors, merci FEED Racing. Et à 2023 !
Comments